Plus d'un milliard d'habitants - dont 3 sur 4 vivent en milieu rural - sur une superficie de 3 291 000 km2,
28 états,
2 langues officielles : le hindi et l'anglais, mais aussi 21 autres langues,
des milliers de quotidiens et d'hebdomadaires,
toutes les religions,
un âge moyen de 25,6 ans et une espérance de vie de 63 ans...
C'est la République fédérale de l'Inde.
La capitale, Delhi, compte 20 millions d'habitants mais elle est distancée de plus de 2 millions d'habitants par Bombay.
Un pays en plein essor même si 75 % des Indiens vivent avec moins de 2 euros par jour.
Voilà pour les faits bruts parfaitement accessibles à notre culture occidentale.
Mais l'Inde échappe totalement à tout ce qui se met en équation. Elle est impossible à expliquer, à comprendre, car elle est en dehors de notre logique. Ancestral et moderne, ce pays qui, à lui seul, est qualifié de sous-continent, est une véritable mosaïque qui n'en finit pas de nous fasciner, de nous surprendre.
Sa diversité, son étrangeté, ses richesses sont si grandes qu'"il faut trois vies pour connaître l'Inde", dit un proverbe de ce pays.
Dès que nous posons le pied sur son sol, couleurs, odeurs, émotions, sensations nous assaillent... Imperceptiblement, les certitudes s'évanouissent cédant la place aux questionnements car l'Inde fait voler en éclats notre croyance en la rationalité du monde. L'Inde nous enseigne quelque chose de fondamental : le doute, le fait qu'aucune chose n'est jamais ce qu'elle paraît être.
Mother India
L'Inde ? Je l'ai découverte en 2006, après avoir plusieurs fois remis ce voyage pour lui préférer d'autres destinations. Mais depuis, j'y suis retournée plusieurs fois, comme aimantée sans trop comprendre par - ou pour - quoi. J'y retournerai en janvier pour plusieurs semaines, espérant peut-être m'en "libérer" pour aller vers d'autres horizons.
L'Inde n'est pas seulement une région du monde dans laquelle on se rend pour voir des "choses" différentes. Elle provoque l'éclatement des limites du "moi", l'immersion dans un climat religieux et une philosophie aux antipodes de ce que nous connaissons et une (in)temporalité qui nous désoriente. Partout, la présence humaine s'impose et c'est une destination qu'il faut bannir si nous n'aimons pas les hommes.
Le voyage - chaque voyage - en Inde ne peut qu'être un événement fort dans notre vie. C'est sans doute pourquoi certains, à peine arrivés dans ce pays, ne pensent qu'à le quitter le plus vite possible afin de ne pas se sentir remis en question, de ne pas être déstabilisés. Il provoque des émotions fortes, "tourneboule" notre inconscient et en fait affleurer des pensées que nous avions occultées depuis longtemps. Romain Rolland parlait, en ce qui concerne l'appréhension de l'Inde, de "sentiment océanique". Et cette expression me semble tout à fait adéquate. Quels que soient les lectures que nous avons pu avoir avant de partir pour ce voyage, quels que soient le nombre de fois que nous sommes déjà venus dans ce pays, nous ne pouvons échapper au sentiment d'étrangeté qui nous saisit dès que nous posons le pied sur le sol indien.
Nous sommes submergés et conscients qu'il nous faut simplement nous laisser aller à la naïveté, oublier tout ce que la culture rationnelle a barricadé en nous.
L'impression est qu'il n'y a pas ici de cloisonnement, tout se mêle : le passé et le présent, l'archaïsme et la modernité, les sciences et la religion, le business et les légendes... L'Inde se réfère en permanence à ses cinq millénaires d'existence et les inclut dans son quotidien.
Toutes les invasions, toutes les cultures qui sont "passées" par ce pays ont été assimilées pour devenir partie intégrante de l'entité indienne. Il n'y a pas eu de rupture au cours des siècles.
Aucune époque n'en a annihilé une autre. Elles se sont intégrées les unes aux autres, constituant une entité sans autre référence qu'elle-même. Et nous demeurons fascinés par toutes ces facettes que nous présente l'Inde. Toutes ces facettes qui constituent un ensemble dont nous ne viendrons jamais à bout de la cohérence. Nous croyons avoir compris quelque chose qui est aussitôt remis en question. N'étant pas né en Inde, nous ne pouvons espérer la comprendre jamais.
Et pourtant, après avoir renoncé à comprendre, à appliquer notre logique à ce continent, à modifier notre perception du réel, à oublier nos repères, nous pouvons éprouver un "sentiment océanique" et prendre conscience que le monde n'est qu'un vaste théâtre d'ombres. Que deviennent les certitudes dans ce contexte ? Protéger notre moi à tout prix ne nous interdit-il pas d'aller vers la liberté infinie ?
L'Inde n'est pas un pays serein, idyllique, spirituel... Elle est le lieu qui nous projette au-delà de la conscience que nous avons de nous-même en nous sollicitant inlassablement - dans la séduction ou le rejet.
L'Inde ne peut pas être la destination de ceux qui sont ancrés dans leurs certitudes, qui croient avoir emmuré leur inconscient, qui ont peur de découvrir que, au bout du compte, ils n'ont peut-être pas raison.
Elle nous confronte à la misère et à la dignité, au paradoxe de la vie, à notre humanité et à notre solitude, à notre impuissance et à notre liberté, à nos désirs et à nos peurs les plus intimes.
Elle nous offre la présence permanente du sacré dans le quotidien, l'inégalable beauté de ses palais et de ses temples, et nous impose l'étendue de ses bidonvilles.
Elle nous apprend que le temps est subjectif et que la vie est paradoxe, que le monde ne nous appartient pas mais que l'éternité est dans chaque instant.
l'hindouisme
Bien que l'Inde compte diverses religions et sectes religieuses, la grande majorité de la population est hindoue.
Troisième religion dans le monde par le nombre de fidèles, après le christianisme et l'islam, l'hindouisme n'a ni fondateur, ni autorité centrale, ni représentants.
Le panthéon indien est composé d'une multitude de divinités qui sont les représentations de l'Etre suprême, et, à leur tête, se trouve la trinité composée de Brahma (le créateur), Vishnu (le protecteur) et Shiva (le destructeur).
L'hindouisme prend racine dans des croyances millénaires en la fertilité et dans le pouvoir des forces naturelles et le culte des dieux et de nombreux rituels y sont extrêmement importants.
Même si les temples sont très fréquentés, tous les foyers possèdent un lieu de culte familial.
Les Hindous considèrent que la vie terrestre est soumise à des cycles : l'homme renaît selon le processus du samsara et c'est sa conduite dans la vie présente qui détermine la qualité de la suivante. Celui qui vit vertueusement accroît ainsi ses chances de renaître dans une caste supérieure alors qu'un mauvais karma peut entraîner la réincarnation en un animal. Il faut acquérir une grande connaissance pour espérer rompre le cycle du samsara, mettre fin au cycle des renaissances et atteindre enfin la libération.
ganesh
Une tête d'éléphant sur un corps d'homme : ce personnage est présent partout en Inde : ce personnage est présent partout en Inde. Dans les temples, dans les maisons, dans les bazars...
Dans la mythologie, il est le maître des ganas, les serviteurs de Shiva, et l'étymologie de Ganesh réside dans le mot "gana" (serviteur).
Sa mère, Parvati, créa seule ce fils, avec une terre particulière, du safran et de la rosée.
Il incarne la force et la sagesse - d'où le rôle premier qui lui est attribué - mais il est avant tout celui qui calme les querelles et efface les obstacles.
Ses oreilles grandes ouvertes sont à l'écoute des soucis de ceux qui s'adressent à lui, et son ventre rebondi est le signe qu'il absorbe ces soucis.
Coquet, joyeux, bienfaisant et extrêmement populaire, c'est sans doute le dieu le plus représenté dans les maisons indiennes.
le chemin
Culturellement, les Indiens divisent volontiers une existence en quatre périodes : l'âge de l'apprentissage, l'âge de la production (fonder une famille et gagner de quoi l'entretenir), l'âge de la retraite et enfin celui de l'errance au cours duquel tous liens sociaux et familiaux sont rompus.
Il n'y a cependant pas d'âge pour quitter le système social et devenir saddhu (ascète renonçant, celui qui essaie d'atteindre l'Eveil - souvent aussi appelé swamiji ou babaji.
Le saddhu choisit la voie la plus directe, mais la plus délicate, vers la libération. Vers la libération du samsara qui est le cycle continuel de naissance-mort-renaissance.
Le sanyasim est un ascète errant qui a renoncé, comme le saddhu, aux choses matérielles pour entrer dans le dernier stade des ashrama.
L'ashrama est un système selon lequel la vie comporte trois stades que seuls les trois plus hautes castes peuvent atteindre : le brahmachari (étudiant chaste), le grihasta (le maître de maison qui remplit son devoir envers ses ancêtres en fondant une famille et en faisant des sacrifices aux dieux) et le sanyasin qui vit comme un saddhu.
Il peut avoir eu une épouse, des enfants, un métier, mais parvenu au quatrième âge de sa vie, il se libère de tous ses liens. Il erre alors, allégé, dépendant seulement des dons pour sa nourriture et son logis. Il se vêt alors d'orange - signe de son renoncement - et porte tous ses biens sur lui.
Ces innombrables renonçants, tout à la fois craints et respectés, constituent une force non négligeable dans l'Inde du XXIème siècle.
Les chemins suivis sont très divers, sachant qu'en Inde, ce qui importe avant tout est d'être en chemin vers le divin.
le sari
Vêtement traditionnel des Indiennes, le sari est une longue bande de tissu de 5 à 9 m de long sur 1 mètre de large.
Il se porte sur un jupon (ghagra) avec un bustier très ajusté qui laisse le ventre nu (choli).
Se draper dans un sari nécessite une grande dextérité. Il faut prendre l'extrémité non décorée du sari et la coincer dans le jupon, au milieu du ventre (la bordure inférieure touchant le sol afin de cacher les pieds). On forme ensuite plusieurs plis d'une dizaine de cm avec la partie supérieure du sari que l'on glisse dans le jupon, légèrement à gauche du nombril.
Le tissu restant (palloo) est alors passé sous l'aisselle droite puis sur l'épaule gauche (la partie qui retombe dans le dos doit atteindre les genoux).
les couleurs
La couleur des vêtements revêt pour les Indiens une valeur symbolique.
Couleur traditionnelle des brahmanes (la teinture est considérée comme impure), le blanc est aussi la couleur du deuil.
Autrefois couleur de la caste des vaishya (marchands), le vert est aujourd'hui surtout un signe d'appartenance à la communauté musulmane.
Le bleu est la couleur de la caste des shûdra (agriculteurs, artisans...)
Le rouge (supposé être de bon augure) est la couleur des kshatriya (guerriers)
Le jaune et le safran sont liés à la religiosité, à l'ascétisme.
le khôl - le neem
Le khôl dont on enduit les yeux des enfants est avant tout une protection : contre l'éclat de la lumière solaire, contre les insectes (les mouches notamment). D'où sa réputation proverbiale de repousser les maladies.
Artisanalement, il est fabriqué à partir d'une amande brûlée à la flamme d'une bougie dont on récolté la suie.
Pour entretenir leur dentition, les Indiens utilisent volontiers une branchette de neem, variété de margousier appelé aussi "lilas de Perse". Son écorce, quand elle est mâchouillée dégage un produit antiseptique. C'est pourquoi cet arbre, grâce au vaste spectre de ses propriétés thérapeutiques, est considéré comme un remède universel.
la circulation
La circulation, partout en Inde, est chaotique.
Sur toutes les routes, des carrioles surchargées, des camions, des taxis, des bus, des voitures, des rickshaws, des motos slaloment au milieu des nombreux nids-de-poule et se dépassent à grands coups de klaxon sans sembler s'inquiéter d'éventuels véhicules arrivant en face ou des vaches sacrées qui traversent la route en toute quiétude.
Dans les villes, les interminables embouteillages, la clameur des klaxons de voiture et des cornes des rickshaws offrent le même tohu-bohu.
Le réseau de bus est important mais il n'est pas facile de réussir à se faufiler entre les passagers pour trouver une petite place.
le transport scolaire
les Indiens
Sur cet immense territoire, pendant plusieurs millénaires, explorateurs, marchands, colons, mercenaires, envahisseurs se sont succédés.
C'est au début des années 1920 que des fouilles ont permis de découvrir, dans la vallée de l'Indus, les traces de la première civilisation indienne qui se situerait entre 2500 et 1800 avant J-C.
Adivasi, Aryas, Dravidiens, Arabes sémites (venus d'Iran et d'Afghanistan), Juifs (de Nabuchodonosor), Zoroastriens (de Perse), Moghols, Portugais, Britanniques, Français... ont déferlé sur l'Inde pour se mélanger peu à peu aux peuples déjà présents.
Aujourd'hui, ce qui fait la différence entre les individus, ce ne sont pas les origines mais la religion et la caste.
L'hindouisme, pratiqué par plus de 80 % de la population figure parmi les religions les plus anciennes de l'humanité. Les musulmans sont un peu plus de 10 %, les chrétiens moins de 2,5 %, les Sikhs environ 2 % et les bouddhistes et les jains moins de 1 %.
Le système des castes demeure la base de la structure sociale. On distingue 4 castes (varna) : les brahmanes (nés de la bouche de Brahma), les kshatrias ( guerriers nés de ses bras), les vaishya (marchands nés de ses cuisses) et les sudra (serviteurs nés de ses pieds).
Dans la réalité, seuls les brahmanes revendiquent l'appartenance à l'une de ces castes. Par contre, les Indiens se réclament des jatis qui se comptent par milliers : jatis de barbiers, de tailleurs, d'agriculteurs... On porte toujours le nom de sa jati et on appartient à sa communauté même si l'on décide de quitter la région et d'exercer un autre métier.
Le véritable problème n'est pas tant celui des castes que celui des dalits. Les dalits (autrefois appelés les intouchables) sont hors caste et souvent relégués aux tâches les plus basses bien que, depuis quelques années, des quotas leur permettent d'accéder au fonctionnariat, aux universités, et aux responsabilités politiques.
(Je dirai - encore une fois - qu'il est vain, inutile et dérisoire d'aborder l'Inde avec la rationalité et la logique de notre culture. Le système des castes est bien plus complexe...et fait partie du paradoxe de ce pays. L'Inde est un pays en mouvement et avec l'accession des dalits aux postes de responsabilité on peut espérer plus de justice dans la société indienne)